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Les trottinettes électriques entrent dans le Code de la route

Article paru dans la lettre d’information d’octobre 2019 de 60 Millions de Piétons, association membre du Réseau Vivre Paris!

Le décret n° 2019-1082 du 23 octobre 2019 relatif à la réglementation des engins de déplacement personnel a pour objet de définir les caractéristiques techniques et les conditions de circulation des engins de déplacement personnel. Il est entré en vigueur le lendemain de sa publication, à l’exception des articles 4, 5, 7, 8 et 11 qui entrent en vigueur le 1er juillet 2020.

Le texte définit dans le code de la route les engins de déplacement personnel (EDP) comme de nouvelles catégories de véhicule. Il définit leurs caractéristiques techniques, et leur usage sur la voie publique. Il prévoit notamment les équipements devant être portés par les conducteurs de ces véhicules ainsi que les espaces de circulation où ces conducteurs doivent et peuvent circuler en agglomération et hors agglomération. Il encadre les possibilités offertes à l’autorité détentrice du pouvoir de police de la circulation pour déroger à ce cadre général, cette autorité pouvant notamment autoriser la circulation sur le trottoir ou, sous certaines conditions, sur les routes dont la vitesse maximale autorisée est inférieure ou égale à 80 km/h. Il prévoit enfin les sanctions en cas de non-respect des dispositions applicables aux conducteurs des engins de déplacement personnel.

Commentaire de 60 Millions de Piétons :

« 60 Millions de Piétons » a porté haut et fort sa demande de sanctuarisation du trottoir auprès des députés et sénateurs et du ministre des transports.  Par ce décret, 60 Millions de Piétons obtient satisfaction. Mais…

Les EDP ont interdiction de circuler sur les trottoirs. C’est la règle générale. L’enjeu maintenant sera de voir respecter cette règle.

Comment informer les utilisateurs d’EDP à circuler ailleurs que sur les trottoirs. Il manque ainsi au décret un arrêté précisant la signalisation qu’ils devront connaître.

Il manque un dispositif permettant de verbaliser facilement les contrevenants.

Il manque un dispositif de formation à l’usage de ces engins, de la responsabilité des opérateurs, ces derniers ne pouvant s’en exonérer par une simple information sur le contrat de location.

Cette sanctuarisation sera d’autant plus difficile à faire rentrer dans les esprits que l’État a cru utile de laisser la possibilité aux maires à y déroger selon des conditions qui ne sont pas acceptables. Souhaitons que nos élus n’usent pas de cette dérogation, qui pourrait mettre en danger leurs administrés qui sont tous des piétons et qu’ils abandonnent cette pratique d’aménager des itinéraires cyclables sur les trottoirs, la cohabitation déjà délicate avec les cyclistes risquant avec la circulation des EDP d’être très conflictuelle.

Nous vous invitons à prendre connaissance des courriers que 60 Millions de Piétons ont adressés aux différentes instances.

Le Cabaret Sauvage ou la prime à l’impunité

Depuis 2012, l’Association des Riverains du Parc de la Villette a entrepris de nombreuses actions contre le Cabaret Sauvage, responsable depuis 2004 d’intolérables nuisances sonores. La Préfecture de Police a effectué plusieurs relevés acoustiques à charge sans qu’aucun procès-verbal ne soit dressé. Pourtant, les inspecteurs du Bureau d’Action Contre les Nuisances* ont rédigé 4 rapports détaillant les irrégularités de l’installation acoustique de cet établissement.

                        – le 20/04/2016, » La Préfecture demande au responsable, Monsieur AzaÏche, de se conformer dans un délai d’un mois aux dispositions des articles R571-25 à R571-30 du Code de l’environnement et de se conformer à l’article R571-29, à savoir réaliser une étude de l’impact des nuisances sonores dans l’environnement immédiat ».

                        – le11/10/2016 : « Rappel au responsable du Cabaret de la nécessité de respecter dans un nouveau délai de 5 jours les dispositions des articles R571-25 à R571-30. A défaut, un PV d’infraction à cette réglementation pourra être dressé à son encontre.« 

                        – le 12/06/2017, « le Cabaret Sauvage informe les Inspecteurs qu’une étude d’impact acoustique était prévue par le cabinet ALTIA. Cette étude devra être communiquée dans les 2 mois aux services de la Préfecture« .

                        – le 15/04/2018 : « conformément à l’article 571-29 du code de l’environnement, le mis en cause est tenu de réaliser l’étude de l’impact des nuisances sonores sur l’environnement immédiat de son établissement« .

Actuellement, la Préfecture n’a toujours pas sanctionné ce refus de se soumettre à cette obligation légale.

Elle ne semble pas davantage se préoccuper des graves atteintes à la santé des riverains qui, pourtant, ont envoyé de multiples plaintes (212 en 6 ans pour l’un d’entre eux) puisqu’elle se borne à la réponse standard : « Vos signalements ont bien été pris en compte. Vous serez tenus informés de la suite qui sera réservée à ce dossier« .

Nous avons donc adressé un courrier (en recommandé avec accusé de réception) à Mme Camilieri au Cabinet du Préfet de Police pour lui demander de bien vouloir diligenter une enquête afin de déterminer les raisons de la surprenante mansuétude dont bénéficie Monsieur Azaïche.

A ce jour, aucune réponse.

Par ailleurs, nous avons appris avec indignation par la Presse qu’une subvention avait été attribuée au Cabaret sauvage par la Mairie de Paris et le Conseil Régional d’Ile de France pour « mise en conformité de son installation sonore« .

Est-il concevable que les impôts des riverains-victimes soient utilisés à la rénovation d’un établissement PRIVEresponsable d’un scandale de santé public? C’est la question que nous avons posée à Madame Hidalgo et à Madame Pécresse.

Dans sa réponse, la Maire de Paris assure « qu’en finançant notamment les travaux d’insonorisation et de mise aux normes des lieux de diffusion des musiques actuelles, ici le Cabaret Sauvage, la Ville prend en compte le respect et la tranquillité de tous les habitants« .

Ainsi formulée, cette décision d’une habileté tortueuse ne peut faire que des émules : j’ouvre un lieu musical avec l’alibi culturel sans me soucier de l’environnement immédiat, je crée des nuisances, les riverains se plaignent, j’obtiens des subventions!!! 

Nous attendons toujours la réponse de Madame Pécresse…

 Association des Riverains du Parc de La Villette (membre du Réseau Vivre Paris!)

 Madame Bérenger, présidente.

* service qui dépendait de la Préfecture de Police mais dépend désormais de la Mairie de Paris

Faut-il développer davantage encore la vie nocturne à Paris ?

par MARAIS-LOUVRE / 22 OCTOBRE 2019

Article publié sur le site de Marais-Louvre le 22 octobre 2019

Sous le titre « L’animation nocturne des villes, un potentiel à conforter« , la Newslettter n°10 du Conseil de la Nuit, c’est-à-dire la Mairie de Paris, fait le panégyrique des activités nocturnes qu’elle encourage et promeut. Cette étude rédigée par l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la région Ile de France (fondation créée en 1960 par le ministre de l’équipement Pierre Sudreau) est inspirée de différents travaux et rapports (*) sur lesquels nous nous sommes exprimés en son temps. Ces études le plus souvent font peu de cas des habitants riverains et Parisiens à qui la fête est imposée. Ainsi est-il écrit « l’importance des activités de la nuit témoigne de l’intensité de la vie culturelle, festive et de loisirs de la région-capitale, ces usages nocturnes sont pratiqués autant par les Parisiens, les Franciliens, que par les touristes. La nuit constitue ainsi un levier méconnu du développement culturel, économique et touristique, que les territoires doivent encore s’approprier pour favoriser l’essor de la filière« .

Aussi lit-on au fil des lignes de ce  document que « l‘animation nocturne des villes est un potentiel à conforter…, ces lieux de proximité  contribuent au dynamisme de la vie de quartier… au renforcement de lien social et à la création d’emplois... ». Sont tour à tour cités dans le rapport les référents de nuit, le Conseil de la Nuit qui deviennent sous la plume du rédacteur « les reflets d’une reconnaissance croissante  par la pouvoirs publics de cet espace-temps singulier….« ? Des conjectures sont ensuite exprimées afin de déterminer à quel moment débute la nuit et quand elle se termine, en associant pêle-mêle les musées, les cafés, les bars, les restaurants, les théâtres, l’Opéra, le Grand Rex, la Bellevilloise (curieux amalgame lorsque l’on sait combien les riverains sont perturbés par ce voisinage comme le montre un précédent article), les « tiers lieux« , les friches  (« qui abritent un bouillonnement culturel et festif » ) qui contribuent, est -il spécifié, à attirer aussi bien les Franciliens que les « city breakers« . Le rapport semble regretter que Paris qui attire tant de touristes ait « un ADN  moins festif que Barcelone, Berlin, Londres ou Amsterdam…? »  C’est un point de vue que nous pouvons ne pas partager!

Affirmer aussi que « le territoire  s’approprie de plus en plus la nuit...  » reste à étayer dans les « petits villages » comme il est pourtant indiqué, En revanche déclarer que la « nuit festive est un enjeu de transversalité des politiques publiques … mobilisant à la fois les champs de l’économie, de la culture, du tourisme et du marketing territorial, de la sécurité, de la santé, des transports et de l’aménagement » repose sur une réalité criante. Une minorité au prétexte de s’amuser peut-elle tout imposer à une majorité qui d’ailleurs n’est pas opposée à la vie nocturne mais souhaite disposer, par une réglementation adaptée, du sommeil réparateur dont elle a besoin physiologiquement. Majorité qui s’inquiète de plus en plus de la montée de l’alcoolisme chez les jeunes, au-delà des effets indirects de la vie nocturne à savoir la malpropreté.

Ne nous y trompons pas les conséquences induites de la situation actuelle développée par trop de vie nocturne ne sont pas uniquement positifs, loin s’en faut… Si la nuit génère selon le rapport de l’activité économique et de l’emploi (les données sont peu précises, anciennes, voire inexistantes), elle engendre aussi des effets négatifs comme les conflits d’usage dans les quartiers dits festifs, la montée des prix de l’immobilier, l’occupation de l’espace public, les locations touristiques toujours plus nombreuses et des coûts induits à la charge habitants, tels que la circulation des transports en commun la nuit, la surveillance, la sécurité, l’assistance, la prévention et les soins prodigués à ceux qui abusent de l’alcool sans oublier les moyens alloués pour combattre la malpropreté…

En conclusion de ce rapport repris par la newsletter, il est souligné combien les tenants de la vie nocturne veulent développer et valoriser plus encore les événements en disposant de réglementations plus favorables de telle sorte qu’existe une vraie filière,  c’est-à-dire des chartes adaptées, des conseils spécialisés et des élus dédiés à la vie nocturne. Quelques allusions sont faites toutefois à la prévention et à la régulation. Mais finalement, alors que le rapport conclut « la nuit est un monde de découvertes, de rencontres, d’insouciance mais aussi de conflits« , alors que de nombreux riverains n’en peuvent plus du développement à marche forcée de la vie nocturne, tout ceci ne se résumerait-il pas finalement à une histoire de gros sous ?

(*) Etudes de l’Atelier Parisien d’Urbanisme , le Rapport de 2015 commandé par l’ancien ministre des affaires étrangères avec ses 22 propositions pour faire de la vie nocturne  un facteur d’attractivité, l’Eurocouncil…

Et si les maires avaient le pouvoir de fermer les bars pour troubles à l’ordre public?

Article publié sur le site de Marais-Louvre le 11 octobre 2019

A l’occasion de l’examen au Sénat du projet de loi sensé renforcer le pouvoir des maires et intitulé « Engagement et proximité » qui revalorise les prérogatives et souhaite que les maires soient davantage resitués dans l’action publique locale,  la presse s’est emparée du sujet. Elle se focalise sur l’article 13,  ainsi libellé : « Son (le maire) intervention dans la fermeture des débits de boissons apparaît ainsi comme un moyen de lutte supplémentaire contre les troubles à l’ordre public » .  En résumé, le législateur souhaiterait donner pouvoir aux maires de fermer les bars si il y a atteinte à l’ordre public, des nuisances sonores, des risques d’incendie au autres …

Il est vrai que les désagréments de plus en plus prégnants, notamment les nuisances sonores et la montée de l’alcoolisme dont on connait les ravages, sont dénoncés  par les habitants et riverains des lieux de fête permanentes. Sujets que relaient l’association Réseau Vivre Paris !, le Réseau Vivre le Ville ! et bien d’autres associations à Paris et en province. Il est vrai que dans un certain nombre de villes le maire reçoit des plaintes des habitants excédés sans aucun pouvoir pour agir directement. Cette loi si elle est votée en l’état leur donnerait ce pouvoir de fermeture des débits de boissons en infraction exercé aujourd’hui par les préfets qui sont à l’origine des décisions de fermeture administrative. Mais cette mesure, on l’aurait deviné à l’avance, déplaît fortement aux professionnels de ce secteur qui dénoncent déjà le clientélisme que l’extension de pouvoir de police aux maires pourrait selon eux induire. Ils oublient toutefois de préciser que si clientélisme il  y a,  alors il est à double sens car des municipalités favorisent au contraire les débitants de boissons au détriment des habitants en rendant la fête permanente, ce qui est le cas à Paris. Une situation que nous avons maintes fois dénoncée.

Au plan national,  si le maire devient détenteur du pouvoir de fermeture d’un établissement, nous considérons, qu’en tant qu’élu proche des habitants, notamment dans les petites villes et les villes de taille moyenne, c’est une bonne chose. En revanche, dans les grandes villes face à la poussée des noctambules, du tourisme, à la concurrence entre les capitales en matière d’animation nocturne, nous estimons que cette loi risque au contraire de ne rien changer pour les habitants. Les exploitants ne devraient plus craindre alors les fermetures administratives sauf pour des cas extrêmes d’ordre public… et les incivilités qui en résultent prospéreront davantage encore dans une ambiance de propension de la fête nocturne.

Lire l’article sur le site de Capital : Les bars trop bruyants bientôt fermés par le maire plutôt que le préfet ?

Mise au point sur « les radars anti-bruit » à la Butte aux Cailles

© Bruitparif

L’association Réseau Vivre Paris ! ne peut pas laisser sans réponse les propos des commerçants rapportés dans un article publié le 9 septembre dernier par le magazine Marianne, sous la plume d’Alexandra Saviana. Dédié par son intitulé aux radars antibruit contre des véhicules, cet article aborde en réalité largement la question des capteurs sonores Bruitparif (les « méduses ») installés dans divers quartiers de Paris où l’agitation nocturne est devenue le problème numéro 1 de la plupart de leurs habitants. Voici la réponse du Réseau et de l’association Les Riverains de la Butte aux Cailles aux critiques d’un commerçant de la Butte aux Cailles rapportées par l’article.


1ère affirmation du commerçant : « C’est du flicage. Nous n’avons pas besoin de caméras-micros pour savoir quels établissements sont les plus bruyants » :

  • Sur la possibilité de savoir qui fait du bruit : d’une certaine manière, effectivement, tout le monde sait d’où viennent les problèmes et dans le meilleur des mondes possible, on n’aurait pas besoin des « méduses ». Ce d’autant plus que les riverains se plaignent de ce qui se passe sur la voie publique, la Butte aux Cailles étant devenue une sorte de vaste terrasse à ciel ouvert en soirée. 

Mais, dans le vrai monde, il se trouve en réalité que personne ne veut le clarifier et citer des noms. La question est discutée depuis près de 20 ans car la dégradation du cadre de vie s’est progressivement aggravée. Mais les commerçants adoptent pour la plupart d’entre eux une forme de solidarité passive qui empêche toute individualisation des situations ; la mairie dit qu’elle n’a pas compétence ; le commissariat ne veut généralement pas constater l’évidence. Face à ces postures et en contrepoint la montée en puissance du malaise et des plaintes des habitants, les capteurs sont donc l’outil indispensable pour clarifier la situation en toute objectivité.

  • Sur le flicage par des caméras-micros : cette qualification du dispositif « méduses » employée par le commerçant est péjorative et tendancieuse.

En effet, l’objectif du dispositif est de protéger les Parisiens victimes d’atteintes à leurs droits fondamentaux : trouble à leur sommeil et plus généralement impossibilité de  se reposer dans leur domicile. La liberté du commerce et le bon plaisir des clients des établissements ou autres usagers des quartiers « festifs » qui sont invoqués par ceux qui ne veulent pas des « méduses » ne peuvent en aucun cas supplanter la prise en considération des droits des victimes. 

Visant à déterminer les sources des nuisances pour ensuite les traiter et rétablir des conditions de vie normales aux habitants et une action dont les moyens sont parfaitement proportionnés à l’objectif d’ordre public visé. Les enregistrements sonores et les photographies (pas de caméras donc) sont organisés dans le strict respect du règlement des données personnelles, comme l’a d’ailleurs précisé un article mieux informé de Mediapart.


2ème affirmation du commerçant : « En installant ces capteurs, ils vont condamner tout le quartier. Il n’y aura plus de bruit, mais il n’y aura pas de commerces non plus ! « . 

On est ici dans le registre coutumier de la défense du commerçant qui prétend à une liberté sans bornes autre que celles fixées par sa clientèle lorsqu’elle permet d’accroître ses profits. Dans ce registre, l’économique supplante le social. Dans ce registre, on manipule l’interlocuteur, ici en menaçant les usagers des établissements de la Butte aux Cailles de disparition (à noter le « ils » dans « ils vont condamner »). 

Comme si ces établissements pouvaient n’être rentables que par une exploitation qui se répand sur la voie publique sans aucune gestion responsable de la part des commerçants. Les pratiques dénoncées par les riverains à la Butte aux Cailles sont : la vente à emporter dans des gobelets consignés ou jetables jusque 2h00 (avec des attroupements de dizaines de personnes en plus des terrasses autorisées), qui est le fait de 12 établissements ; les vitrines repliables et le maintien en position ouverte des portes des établissements, y compris lorsque de la musique amplifiée est diffusée ;  l’exploitation de terrasses sans aucun contrôle des comportements de la clientèle.

Si les commerçants respectaient leurs obligations, il n’y aurait plus un bruit insupportable pour le voisinage et les commerces capables d’offrir des prestations de qualités contribueraient en harmonie à la vie économique du quartier.

Quand Charlie fait fausse route

Daniel EHRET , ancien président du Centre Antibruit d’Alsace, répond à l’article de Charlie Hebdo : « Comme partout, la fête en danger ».


Je vous propose d’interpeller d’abord le titre de l’article publié dans Charlie Hebdo le 14 août 2019 : « Comme partout, la fête en danger ». J’ai envie de répondre par une approbation. Car oui, le sens profond de la fête s’est perdu, s’est dilué dans une bouillie mondialisée de simulacres ou de succédanés. Le caractère exceptionnellement bienvenu d’une fête périodique est trop souvent annihilé par une dérive essentiellement mercantile, amenant par exemple la plupart des grandes villes actuelles à développer le mythe de l’attractivité nocturne, en conférant sans recourir au débat une irrecevable légitimité à la notion de fête permanente.

La fête primordiale, celle qui par son esprit de partage inconditionnel et de liesse inclusive remonte à la nuit des temps, cette fête essentielle, enfouie dans l’inconscient collectif, ne se trouve nullement en danger, puisqu’elle n’a plus cours, sauf dans quelques territoires ignorés. Mais celle qui aujourd’hui s’impose partout, malgré son caractère répétitif et excluant, n’a rien à craindre pour son avenir à court terme. Seule pourrait la menacer une gigantesque panne d’électricité ! A ce dernier type de fête, dévoyée par les intérêts de quelques-uns, ce n’est pas l’ensemble d’une population donnée qui se trouve conviée, mais une très faible fraction de celle-ci. Et cette minorité s’appuie sur la permissivité démagogique des pouvoirs publics concernés pour relativiser tous les excès. Il s’ensuit fatalement chez ceux qui ont à les endurer, et qu’il faut ranger dans la catégorie des victimes, un profond sentiment d’injustice : car les très minoritaires qui revendiquent le droit de festoyer négligent sans complexes les règles de droit que l’exception seule permettait jusqu’ici de transgresser sans trop de risque. Ces « fêtards » (notez la péjoration de ce terme) n’acceptent plus les limites que, dans sa sagesse ancestrale, la collectivité a jugé nécessaire d’établir, afin que le plaisir d’une minorité n’agresse pas le droit au repos réparateur d’une majorité.

Ce refus de la loi est rendu possible par une coupable permissivité qui met à mal la notion d’intérêt général et pourrait en arriver à menacer les fondements de notre démocratie.

La fête comme nécessaire exception

Une fête excluant de fait une très large majorité de gens qui n’en sont pas partie prenante, par le mécanisme ordinaire de l’incompatibilité ou pour d’autres raisons fort légitimes, cette « fête » ne peut plus être nommée ainsi, surtout si elle se répète ad nauseam, car elle devient alors un trouble insupportable pour ceux qui la subissent. Et ce trouble peut s’exaspérer jusqu’à provoquer d’énormes fractures sociales. Parier sur un développement débridé d’une « vie nocturne » pour créer du lien social apparaît en conséquence au mieux comme une dangereuse illusion, au pire comme une forme banalisée de cynisme délétère, que les industriels de la nuit confondent allègrement et injurieusement avec le bien public.

Selon le sociologue Jean Duvignaud (1921-2007), la fête ne saurait annoncer un ordre nouveau. Elle apparaît plutôt comme une « parenthèse à l’intérieur de l’existence sociale et du règne de la nécessité ». Elle est aussi, en ce qu’elle a d’exceptionnel et de cathartique, ce qui peut fournir une raison d’accepter la quotidienneté et ses innombrables soumissions. D’où la tentation pour la puissance publique de multiplier les occasions de fêtes, au point, note Jean Duvignaud, que « certaines nations, certaines cultures se sont englouties dans la fête ». Nous y sommes, en effet. J’ajouterai pour ma part que cet engloutissement ne sert que les intérêts des profiteurs de la nuit.

La mort par noyade à Nantes du jeune Steve, en ce triste matin du 22 juin 2019, au terme d’une fête de la musique prolongée jusqu’à l’aube malgré l’interdiction officielle, n’est absolument pas admissible. Une démocratie ne doit jamais réprimer le non-respect d’une règle comme l’a fait ce jour-là une police obéissant aux directives d’un ministre de l’Intérieur plus carriériste que compétent. Cette mort rappelle cependant que la banalisation des transgressions, intimement liée au développement exponentiel du noctambulisme, ne va pas dans le sens du « vivre ensemble », ce machin illusionniste prôné à tout va par les classes politiques, toutes tendances confondues.

Lettre ouverte à Antonio Fischetti

Je reviens à l’article publié par Charlie Hebdo, non sans avoir précisé au préalable que je suis abonné à ce périodique depuis au moins une trentaine d’années, que j’y ai longtemps trouvé mon compte, mais qu’il me déçoit vivement ces derniers temps, au point que l’idée de m’en désabonner se soit mise à me tarauder. J’y reste attaché malgré tout, grâce à certaines belles plumes comme celles de Haenel, Nicolino ou Lançon, mais je ne guéris pas du regret d’avoir perdu à jamais les verves et truculences des Cavanna, Choron, Siné, Maris ou Gébé, ainsi que les incomparables et géniaux dessinateurs que furent les Charb, Wolinski, Cabu, Catherine ou Reiser.

Je m’adresse donc à Antonio Fischetti, auteur du papier en question et acousticien de formation : son expertise en matière de propagation du son aurait dû le conduire à davantage de neutralité et à moins de complaisance en faveur des décibels excessifs qui, par centaines de millions, ravagent des systèmes auditifs juvéniles à travers le monde entier.

Selon l’OMS, à l’horizon 2050, si rien n’est fait en matière de prévention ou de changement des comportements, plus d’un milliard de jeunes de 12 à 35 ans risqueront une invalidante déficience auditive « par exposition au bruit dans un cadre récréatif ». Et ce chiffre ne prend pas en compte les plus de 35 ans de ce futur lointain, dont les oreilles auront été tout aussi fortement abîmées par des décennies de soumission aux excès sonores !

Fischetti se livre à une observation d’une subtile finesse lorsqu’il écrit ceci : « Il paraît que les riverains éloignés se plaignent régulièrement de la musique (il faut avouer que le son porte loin sur l’eau), mais cela n’avait jamais posé de problème avant ce tragique 21 juin ». D’abord les riverains ne se plaignent pas de la musique, Fischetti, mais du fait que toute musique est illégitime (et même illégale) si elle s’impose par son émergence excessive à des milliers de gens qui, au moment où ils la subissent, voudraient simplement qu’on leur reconnaisse le droit au sommeil. Et quand vous alléguez que cette musique « n’avait jamais posé de problème avant ce tragique 21 juin », vous affirmez dans la même phrase le contraire de ce que laisse entendre le début de ladite phrase. Relisez-vous, ma parole !!! Et puis, notez aussi qu’il n’y aurait sans doute pas eu de tragédie si la musique s’était arrêtée le 21 juin et pas le 22 à l’aube.

Plus loin vous évoquez, avec un agacement à peine dissimulé, la « tolérance de plus en plus faible des riverains à l’égard de la moindre perturbation de leur quotidien ». J’ai envie de vous retourner ce propos comme suit : les fauteurs de bruit tolèrent de moins en moins que leur liberté de bousiller leurs oreilles à eux et de violenter le système nerveux des autres puisse être contestée par des riverains soucieux de leur sommeil et donc attachés à la législation française, une des plus protectrices du monde, mais aussi une des plus mal appliquées.

La faute aux victimes !

Dans votre article, vous semblez approuver que le principe d’antériorité, inscrit dans la loi française, puisse être invoqué par les bruiteurs. Pour le moment, il profite encore aux habitants, s’ils se sont installés dans leurs appartements ou leurs maisons avant l’arrivée retorse des perturbateurs nocturnes. Il profite aussi aux habitants qui s’installent après les bruiteurs si ces derniers ne respectent pas la réglementation en matière d’isolation phonique. C’est à ces derniers, en effet, que continue d’incomber la charge d’isoler leurs lieux musicaux de manière à ne pas porter atteinte à la tranquillité du voisinage. Mais comme ces « boîtes » sont le plus souvent étriquées et que le tabagisme n’est pas permis à l’intérieur, se multiplient très logiquement les tentations estivales d’ouvrir portes et fenêtres pour rafraîchir la surpopulation qui s’y entasse dans un vacarme assourdissant. Le boucan s’installe alors sur la voie publique et y reste jusqu’au petit matin : ceux qui s’en plaignent, parce qu’ils voudraient dormir, eux, on les traite d’intolérants, de fachos et de plein d’autres gracieusetés. Ils n’avaient qu’à pas s’installer là, ou, s’ils ne supportent rien, qu’ils aillent se faire voir ailleurs ! Voilà l’étrange raisonnement que d’aucuns voudraient ériger en loi !

Vous faites dire à un de vos « acteurs de la fête » (il serait plus exact de parler des « profiteurs de la fête ») ceci : « On sait qu’on emmerde des gens. Mais il faut leur expliquer que les émergences sonores seront toujours là, et le but est de les amener à accepter ça pendant un ou deux jours ». Le caractère exceptionnel de la « fête » étant tombé en désuétude, les événements festifs se multipliant pendant toute l’année et se propageant au fil des mois de quartiers en quartiers, comment invoquer sans mauvaise foi l’acceptabilité de la part des riverains, quand on n’ignore pas que la fin d’une fête à tel endroit amène le début d’une autre à quelques encâblures ?

La révolution des décibels

« Danser, ce n’est pas que du divertissement ! » s’exclame un de vos interviewés (tiens, comment se fait-il que vous n’ayez pas songé à donner la parole aussi aux plaignants, comme cela se doit quand la déontologie journalistique l’exige ?). « Danser est un acte politique ; danser, c’est résister ! » Passons sur le lyrisme saugrenu de votre cher « Martin » et regardons pour finir votre conclusion de journaliste, dans l’hebdo que j’ai si longtemps aimé, qui m’a fait chialer comme un veau le 7 janvier 2015, quand le sang a coulé dans sa salle de rédaction. Vous écrivez, dans le prolongement de l’idée de « résistance » opposée à celle d’intolérance, alors qu’il s’agit en réalité de la seule jouissance d’une infime minorité aux dépens de la santé d’une énorme majorité, vous commentez ainsi l’hommage rendu à Steve, le noyé de la Loire : « Samedi dernier, les amis de Steve l’ont merveilleusement prouvé (que danser, c’est résister). Ils ont sorti le « sound system », puis dansé en bord de Loire sur les musiques préférées de leur ami disparu. Et tout s’est très bien passé. Il faut dire qu’il n’y avait pas un seul flic en vue, ceci explique sans doute cela. » Vous l’aurez compris depuis le début, Antonio Fischetti : votre article me navre, et ce d’autant plus que je vous ai souvent lu avec plaisir et vive approbation. Quant au dessin de Riss, qu’on a déjà connu plus inspiré, il montre des policiers s’amusant (comme au ball-trap !) à tirer en l’air sur des notes de musiques s’échappant d’une espèce de vilain hangar, (de type concentrationnaire !), où l’on confinerait les « fêtards » : non seulement il ne m’amuse pas, mais il m’apparaît totalement inapproprié, puisqu’il ne suggère ni la complexité, ni même la réalité d’un problème qu’on ne peut pas résumer en quelques coups de crayon simplificateurs. Il se satisfait d’exprimer une triste contre-vérité : les victimes de vos nuits ne sont pas des ennemis de la musique, mais seulement des niveaux sonores qui obligent les auditeurs volontaires à se fourrer des bouchons dans les oreilles et les auditeurs involontaires à renoncer au sommeil que, le plus naturellement du monde, ils croient pouvoir programmer la nuit plutôt que le jour.

Daniel EHRET


Daniel Ehret a présidé le Centre Antibruit d’Alsace avant sa dissolution en 2015, en raison de la suppression de l’indispensable subvention de fonctionnement allouée pendant plus de 40 ans par le département du Bas-Rhin. – Haut

Sur cette question du principe d’antériorité, lire nos articles :
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